Quoi retenir de ce papier : Dans l’enfer du quotidien des magistrats

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A mentionner, ce post sur internet dont la thématique est « la justice » et qui va vous intéresser.

Le titre (Dans l’enfer du quotidien des magistrats) parle de lui-même.

Le journaliste (annoncé sous le nom d’anonymat
) est reconnu comme quelqu’un de sérieux pour plusieurs autres textes qu’il a publiés sur le web.

L’article d’origine dont il s’agit :

En octobre dernier, le décès d’une magistrate en pleine audience à Nanterre a suscité une forte émotion dans le monde judiciaire. Au sein de ce dernier, depuis plusieurs années, les magistrat·e·s ont exprimé des formes de souffrance au travail, à travers des prises de parole publiques et des interventions sur les réseaux sociaux jusqu’à une tribune publiée en novembre 2021.

À partir d’une enquête par questionnaire et par entretien qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage , nous présentons d’abord comment s’est construit le problème des conditions de travail dans la magistrature. Nous décrivons ensuite ces difficultés d’une manière générale, avant d’en montrer les variations en proposant une typologie des situations de travail des magistrat·e·s.

Des alertes répétées

Depuis une dizaine d’années, les organisations syndicales alertent le ministère de la Justice et l’opinion sur leurs conditions de travail. Dès février 2015, l’Union Syndicale des Magistrats publie un (second) « livre blanc », qui fait suite à un premier, publié en 2010 consacré d’une manière plus générale à « l’état de la justice ». Ce dernier dressait déjà un bilan très négatif de la situation des tribunaux et de la magistrature, même si Michèle Alliot-Marie, la ministre de la Justice de l’époque, avait jugé les conclusions « ridicules ».

Afin de mesurer la difficulté des conditions de travail, le Syndicat de la magistrature (SM) a envoyé en 2018 à l’ensemble des membres du corps un questionnaire , dont les résultats paraissent en 2019.

La constitution de cette souffrance en problème public atteint son paroxysme dans la tribune évoquée en introduction, signée d’abord par plus de 3000 magistrat·e·s et fonctionnaires de greffe. Montrant en quoi le suicide d’une juge placée de 29 ans dans le nord de la France a des causes professionnelles, les auteurs concluent que « [la] justice souffre de cette logique de rationalisation qui déshumanise […] ».

Cette montée en généralité ne doit pas faire oublier la réalité quotidienne de ces conditions de travail, sur laquelle il est nécessaire de revenir le plus précisément possible.

Un débordement généralisé

Notre enquête montre en premier lieu la prévalence du « débordement » du travail. Hors périodes d’astreinte et de permanence, plus de 40 % des magistrats ayant répondu à notre questionnaire disent travailler en soirée au moins plusieurs fois par semaine ; 72 % affirment ne pas réussir à prendre l’ensemble de leurs congés, et près de 80 % déclarent travailler le week-end au moins une fois par mois.

La magistrature s’inscrit ainsi dans la catégorie plus générale des cadres, qui, selon la dernière enquête de l’Insee, en 2021, sont 36 % à avoir déclaré travailler au moins une fois le soir (contre 23 % pour l’ensemble des salariés), 29 % le samedi et 16 % le dimanche.

L’analyse des entretiens montre que ce débordement est composé de deux éléments. En premier lieu, le temps du soir et du week-end est consacré à « écluser » (prendre une décision, formuler une proposition de jugement, etc.). De fait, le travail semble ne jamais s’arrêter, du côté du siège comme du parquet (les magistrats du siège – les juges – sont chargés de dire le droit en rendant des décisions de justice. Les magistrats du parquet – les procureurs – ont pour fonction de requérir l’application de la loi. Ils défendent l’intérêt public et sont partis au procès) : les dossiers s’accumulent, et la « pile » est toujours renouvelée.

Le débordement du temps de travail rend possible par ailleurs l’activité de la réflexion longue et de la rédaction. Rédiger les jugements nécessite de se soustraire aux urgences. Pour les magistrats·e·s du siège, les moments ouvrés de la semaine sont souvent ceux des audiences qui se prolongent ou se succèdent, et seuls les soirs, les week-ends ou les congés permettent cette prise de distance.

La place centrale du travail à domicile

Le rapport des magistrat·e·s à leur espace de travail constitue un autre enjeu important, comme il l’est d’ailleurs pour les autres salariés, pour qui l’espace est « un enjeu des rapports sociaux de service ». L’élément central est celui du travail à domicile.

Avec quelques professions intellectuelles et indépendant·e·s, la magistrature semble pionnière du « télétravail », avant la mise en oeuvre de « politiques organisationnelles de télétravail » puis sa généralisation à l’occasion du confinement du printemps 2020.

Selon notre questionnaire, presque deux tiers des magistrat·e·s affirment travailler en partie à domicile, et 10 % le font majoritairement. On retrouve dans la magistrature les inégalités de genre liées au télétravail que les épisodes de confinement de 2020-2021 ont mises en lumière. La présence au domicile contraint ainsi souvent les femmes, principalement lorsqu’elles ont des enfants, à « jongler » entre activité professionnelle et activité domestique.

En somme, les temps et les lieux du travail de la magistrature se retrouvent ainsi au coeur des contradictions vécues par le corps et des interrogations sur ce que juger, punir ou requérir veut dire.

Un travail intense marqué du sceau de la pluriactivité

À ce débordement, s’ajoute l’impression souvent évoquée par les magistrat·e·s qu’ils et elles ont de faire le « sale boulot ». La faiblesse des « personnels de renfort » chargée des tâches administratives et logistiques renforce un sentiment de dévalorisation en plus d’ajouter des tâches vécues comme illégitimes.

Cette multiplication des tâches revêt aussi la forme de la pluriactivité contentieuse. Dans des tribunaux de petite taille, certain·e·s juges sont amené·e·s à passer, au cours d’une semaine ou même d’une journée, d’un contentieux à l’autre, d’une spécialité à une autre, et par conséquent d’un domaine du droit à l’autre.

Ces enjeux sont rendus encore plus forts par les logiques d’accélération du temps de la réponse judiciaire. Cette « justice dans l’urgence » transforme profondément l’organisation des parquets et finalement de l’ensemble de la chaîne pénale, alors que la contrainte managériale tend à s’imposer, au moins dans les discours, dans les tribunaux.

On comprend en définitive la perte du sens de leur travail que peuvent vivre les magistrat·e·s, ces éléments fragilisant l’éthos professionnel des magistrat·e·s, cet « art judiciaire » marqué par la sérénité, le discernement et l’empathie. On a là des facteurs bien connus de risques psychosociaux, quand des formes de surinvestissement sont reliées à des insatisfactions profondes concernant le sens du travail.

Un aspect des conditions de travail renvoie à la question des relations de travail entre les collègues et avec les différents acteurs (en particulier supérieurs hiérarchiques et justiciables). Sur ce plan, notre enquête renvoie globalement à une présence modérée de tensions. 88 % de l’ensemble des personnes ayant répondu au questionnaire estiment qu’il n’existe pas de tension avec leurs collègues. Seul·e·s 14,5 % des répondant·e ·s ressentent de la solitude toujours ou souvent.

Pour autant, cet « esprit de corps » résiste difficilement à l’ampleur de l’intensification du travail.

De fortes inégalités dans les conditions de travail

La difficulté des conditions de travail ne doit pas masquer des disparités fortes, liées à des effets de genre, d’âge, de fonction et de juridiction. Une analyse typologique fait apparaître quatre classes de magistrat·e·s selon l’intensité et le cumul des tensions qui caractérisent leur activité : la conflictualité peut se cumuler au débordement, à des degrés plus ou moins forts.

Quatre profils de conditions de travail.

Quatre profils de conditions de travail.

Si seule une partie des magistrat·e·s semble échapper à des conditions de travail difficiles, la classe 4 renvoie aux portraits d’une population en grande détresse proposée par la « Tribune des 3 000 ».

Composée de 18 % des enquêté·e·s, ces magistrat·e·s cumulent conflictualité et débordement du travail. Constituée aux trois quarts par des femmes, les magistrat·e·s y sont plus souvent jeunes, exerçant au ministère public ou bien occupant des fonctions spécialisées (typiquement l’instruction, ou dans une moindre mesure, juge d’instance, juge d’application des peines, juge des enfants) ; les lieux d’exercice sont typiquement des TGI de petite et de moyenne taille.

Mais cette classe ne doit pas faire oublier la problématique plus large du débordement, désormais consubstantiel à l’ensemble du corps : l’enquête montre que, quels que soient la fonction, le lieu d’exercice ainsi que l’ancienneté, la souffrance au travail concerne une grande partie des magistrat·e·s. Si certaines configurations apparaissent particulièrement altérer la qualité de vie au travail des magistrat·e·s, ajoutant parfois la conflictualité au débordement, il est à parier, hélas, qu’aucun·e magistrat·e, au cours de sa carrière, au fil des postes, n’échappe, à un moment ou à un autre, à l’une et/ou l’autre de ces difficultés.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original ici .

Yoann Demoli et Laurent Willemez, Maître de conférence et Professeur en sociologie à l’Université Paris-Saclay

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