Limitations du choix de la loi applicable par les parties dans les contrats d’exploitation du droit d’auteur à l’ère numérique (Partie 2)

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Image parPete Linforth de Pixabay

Ceci est le deuxième d’une série de deux articles de blog (voir la partie 1 ici) qui analyse les limites à la liberté des parties de déterminer la loi applicable aux contrats visant l’exploitation de contenus protégés en ligne. Il examine le concept de dispositions impératives dérogatoires et son application potentielle aux règles pertinentes du droit des contrats (droit d’auteur), ainsi que tes régimes spécifiques de droit international privé prévus par le règlement Rome I pour les contrats de travail et de consommation.

Dispositions impératives dérogatoires

Les juridictions des États membres saisies pour statuer sur un litige doivent appliquer les dispositions dites « de police impérative » de leur propre droit national (article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement Rome I). En outre, dans un contexte contractuel, les tribunaux peuvent, à leur discrétion, donner effet à des dispositions impératives impératives de la loi du pays d’exécution des obligations contractuelles – un pays tiers différent du for -, mais uniquement dans la mesure où celles-ci Des dispositions rendent l’exécution du contrat illégale (article 9, paragraphe 3, du règlement Rome I). Le concept de loi impérative impérative fait référence uniquement aux dispositions juridiques qu’un pays considère comme cruciales pour ses intérêts publics, y compris, mais sans s’y limiter explicitement, son organisation politique, sociale ou économique.

L’auteur a effectué des recherches sur les lois de la Belgique, de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas. Plusieurs de ces juridictions déclarent certaines dispositions du droit des contrats de droit d’auteur obligatoirement applicables dans un contexte international s’il existe un lien étroit entre le contrat et leur territoire, indépendamment de tout choix de loi contraire. Le parallèle avec la notion de dispositions impératives dérogatoires est clair :

  • En France, l’article L 132-24 alinéa 2 Code de la Propriété Intellectuelle est particulièrement intéressante, car elle vise à contrer les pratiques de rachat dans le secteur de l’audiovisuel. Les compositeurs de films peuvent toujours invoquer le droit à la rémunération proportionnelle, le mécanisme de régularisation des contrats et les obligations déclaratives propres aux contrats de production audiovisuelle pour l’exploitation de leur œuvre sur le territoire français, indépendamment de tout choix de loi.
  • Le législateur allemand a prévu l’application obligatoire de ses dispositions concernant la rémunération équitable, le mécanisme d’ajustement des contrats, les obligations de déclaration et le règlement extrajudiciaire des litiges dans les conditions suivantes :
  • si le contrat serait régi par le droit allemand en l’absence de choix de loi et/ou
  • dans la mesure où le contrat couvre des actes d’exploitation importants en Allemagne (article 32b de la loi allemande sur le droit d’auteur).
  • La loi néerlandaise va encore plus loin et déclare Allès dispositions du droit des contrats de droit d’auteur de la loi néerlandaise sur le droit d’auteur applicable si :
  • le contrat serait régi par le droit néerlandais à défaut de choix et/ou
  • les actes d’exploitation (doivent) avoir lieu entièrement ou principalement aux Pays-Bas (article 25h(2) de la loi néerlandaise sur le droit d’auteur).

On pourrait faire valoir que les mesures législatives visant à contrer le pouvoir de négociation plus faible des artistes visent principalement à protéger privé et non l’intérêt public, comme cela est requis pour être qualifié de loi impérative prépondérante. Cependant, l’objectif politique socio-économique plus large du cadre juridique est d’éviter les abus des parties les plus faibles, de garantir la liberté de création des artistes et/ou de parvenir à un juste équilibre des intérêts des parties prenantes ; le tout dans le but de faire avancer la société civile et, par conséquent, l’intérêt public. Une référence analogue peut être faite à la jurisprudence de la CJUE sur la directive sur les agences commerciales, qui vise à protéger les agents commerciaux dans une relation mandant-mandataire compte tenu de leur pouvoir de négociation perçu comme plus faible. Ces dispositions ont été qualifiées à plusieurs reprises de droit impératif dans le cadre de litiges de dimension européenne, même si le mandant (qui équivaut à l’entreprise partenaire dans un contexte d’exploitation du droit d’auteur) est établi en dehors de l’UE (voir iciici et ici). En outre, il convient de rappeler que l’article 17, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’UE énonce expressément que les droits de propriété intellectuelle sont protégés, confirmant ainsi le statut de la propriété intellectuelle en tant que droit fondamental et augmentant la dimension d’intérêt public potentiel de la législation sur la propriété intellectuelle, y compris le droit des contrats en matière de droit d’auteur.

Il existe certainement des arguments en faveur de la qualification d’au moins certaines mesures législatives protectrices comme des lois impératives impératives. Il ne devrait pas être trop facile de rendre le cadre juridique caduc en pratique au moyen d’une clause contraire de choix de loi. Cela est particulièrement vrai pour les dispositions qui ont un impact sur les droits moraux ou la liberté de création des artistes, telles que les règles qui limitent l’octroi de droits concernant la musique future. Une solution similaire à ce qui est prévu en Allemagne ou aux Pays-Bas peut être envisagée, à condition que l’on sache exactement (1) quels actes d’exploitation sur un certain territoire sont requis pour le lien étroit requis qui conduit à l’application de la clause non contractuelle -loi élue, ainsi que (2) quelles dispositions (devraient) avoir le statut de loi impérative prépondérante. Cependant, tracer une ligne entre ce qui est « assez important » et ce qui ne l’est pas semble être une tâche presque impossible et intrinsèquement subjective.

En outre, des considérations de fond s’opposent également à une qualification des dispositions du droit des contrats (droit d’auteur) comme impératives, en particulier le caractère exceptionnel de cette notion et la nécessité qui en découle d’une interprétation stricte de celle-ci. En effet, ce mécanisme correctif doit être interprété plus étroitement que la notion de droit impératif et dans le respect de la liberté contractuelle des parties, comme l’a confirmé la CJUE (voir ici et ici). Une interprétation trop large pourrait conduire à une pente glissante et pourrait même se résumer à une prétention d’effet global du droit de l’UE. La prudence est recommandée contre une telle portée excessive et l’affaiblissement associé du concept de loi impérative impérative, ne serait-ce que pour le bien de la communauté internationale. Plus la portée territoriale potentielle d’une certaine règle est large, plus le risque de sa non-application dans la pratique est élevé. Les facteurs contributifs possibles à cet égard sont les barrières linguistiques potentielles et/ou un manque de ressources matérielles (voire morales) de la part des juges étrangers.

Un obstacle supplémentaire se pose compte tenu de la complexité de la chaîne des licences de droit d’auteur. En effet, les sous-licenciés étrangers peuvent non seulement rechercher certains droits légaux, mais sont également susceptibles de favoriser l’application d’un cadre juridique plus laxiste – ou du moins l’obtention de certaines garanties ou indemnités à cet égard de la part de la société partenaire initiale de l’artiste. Cela place les entreprises partenaires dans une position peu enviable, puisqu’elles peuvent être contraintes d’augmenter leur propre responsabilité.

Quoi qu’il en soit, il est soutenu que les mérites substantiels du cadre du droit des contrats (droit d’auteur) l’emportent sur les intérêts des entreprises partenaires à voir ce cadre inappliqué dans les situations internationales. Les régimes spécifiques prévus pour les parties considérées comme ayant une position de négociation plus faible, à savoir les salariés, les preneurs d’assurance et les consommateurs, peuvent constituer un terrain d’inspiration plus fructueux et une voie alternative pour garantir l’application des dispositions pertinentes du droit impératif.

Régimes préférentiels pour les salariés et les consommateurs

Les employés – et donc aussi les artistes salariés – peuvent bénéficier d’un régime avantageux en vertu du droit international privé de l’UE : ils peuvent invoquer les dispositions préférentielles du droit impératif du pays où ils exercent habituellement leur travail (article 8 du règlement Rome I). Lorsque le lieu de travail habituel ne peut être déterminé, il est fait référence au lieu d’établissement de l’employeur (à déterminer conformément à l’article 19 du règlement Rome I). Si les circonstances de l’affaire montrent un lien plus étroit avec un autre pays, la loi impérative de cet autre pays s’applique. Les consommateurs bénéficient également d’un traitement préférentiel. Dans certaines circonstances, ils peuvent se prévaloir des règles préférentielles de la loi impérative du pays de leur résidence habituelle, quelle que soit la loi choisie dans le contrat de consommation (article 6 du règlement Rome I).

Un argument peut être avancé en faveur de l’extension de la protection accordée aux artistes salariés aux indépendants qui opèrent généralement dans le cadre d’un seul ensemble/compagnie ou d’un nombre limité d’ensembles/compagnies. Dans le cas contraire, un risque de discrimination peut survenir. Une alternative plus ambitieuse serait de prévoir un régime entièrement nouveau, calqué sur les règles préexistantes applicables aux contrats de consommation, pour tous les contrats d’exploitation du droit d’auteur et permettant aux artistes d’invoquer les lois impératives qui s’appliquent dans leur pays de résidence habituelle. Une telle solution a été préconisée dans le cadre de la soft law « Kyoto Guidelines‘, résultat d’une recherche approfondie menée par un groupe international d’universitaires (voir en particulier les articles 21 en liaison avec les 22 lignes directrices de Kyoto).

Incidemment, l’existence de régimes spécifiques aux situations où il existe une différence de pouvoir de négociation fournit un autre argument contre la qualification du cadre du droit des contrats (du droit d’auteur) comme un droit impératif, car une telle conclusion s’appliquerait par analogie à ces régimes existants. Par conséquent, entre autres raisons de cohérence du cadre du droit international privé, le recours au concept de loi impérative impérative peut constituer une solution sous-optimale.

Conclusion

Il existe plusieurs bases juridiques potentielles pour freiner le contournement contractuel de la protection juridique offerte aux artistes en vertu du droit des contrats (droit d’auteur) dans les États membres de l’UE. La qualification du cadre juridique protecteur en tant que loi impérative supérieure est possible, mais soulève des questions supplémentaires. La mise en miroir des régimes protecteurs applicables soit aux contrats de travail, soit aux contrats de consommation se présente comme une alternative plus ambitieuse, mais aussi plus juste.

Cet article traite d’une partie de la présentation sur les contrats de droit d’auteur et le droit international privé donnée par l’auteur à la Contrats de droit d’auteur demain conférence à Gand le 23 septembre 2022. Il porte sur la thèse de doctorat de l’auteur, qui porte sur le cadre juridique matériel entourant la dynamique contractuelle dans l’industrie de la musique numérisée en Belgique, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, ainsi que son application dans la pratique.