L’approche de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’euthanasie dans l’affaire Mortier c. Belgique – EJIL : Parlez !

Le 4 octobre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme (« CEDH ») a rendu un arrêt de chambre dans l’affaire Mortier c. Belgique. Cet arrêt historique est le tout premier arrêt de la CEDH sur la conformité de l’euthanasie, une fois pratiquée, avec les droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme (« CEDH »). De plus, il s’agit du premier jugement concernant l’euthanasie dans des cas impliquant des troubles psychologiques.

Contexte de l’affaire

L’affaire concerne l’euthanasie d’une femme psychologiquement malade, qui souffrait de dépression chronique depuis plus de quarante ans. Après avoir suivi toutes les procédures préalables établies par la loi belge sur l’euthanasie et consulté plusieurs médecins qui ont accepté de la soigner (confirmant sa maladie chronique et l’absence de pression extérieure), elle a été euthanasiée en février 2012. Pendant tout le processus, elle a été soignée. par le professeur D, oncologue et coprésident de la Commission fédérale d’examen et d’évaluation de l’euthanasie (« la Commission »). Il était également membre d’une association pro-euthanasie à laquelle le requérant fit un don. Le requérant, Tom Mortier (fils de la femme euthanasiée) a été informé du décès de sa mère une fois l’acte d’euthanasie réalisé.

M. Mortier a déposé deux plaintes devant la Cour EDH. Premièrement, il invoquait une violation de l’article 2 (droit à la vie) de la CEDH en raison de l’incapacité de l’État à protéger la vie de sa mère. Le deuxième grief concerne l’article 8 de la CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) pour ne pas avoir été informé de la réalisation de l’euthanasie de sa mère. En ce sens, la Cour a constaté une violation des obligations procédurales de la Belgique au titre de l’article 2 de la CEDH en raison de la durée de la procédure pénale et du manque d’indépendance de la Commission. Étonnamment, malgré l’accent mis par la Cour sur le renforcement des garanties et des sauvegardes dans les affaires d’euthanasie impliquant des souffrances psychologiques, la Cour n’a pas conclu à une violation substantielle de l’article 2.

Cadre juridique et contextuel de l’euthanasie en Belgique

La loi belge sur l’euthanasie permet aux personnes souhaitant l’euthanasie de le faire sans souffrir d’une maladie en phase terminale et est l’un des rares pays à autoriser l’euthanasie pour les personnes souffrant de troubles mentaux et psychologiques. Même si la Belgique a été saluée comme l’un des pays les plus progressistes en matière d’euthanasie, des inquiétudes subsistent quant aux garanties procédurales de la loi et à sa capacité à protéger les plus vulnérables de la société (Raus, 2021). Les critiques estiment que cela crée un dangereux précédent et pourrait conduire à un effet de « pente glissante ». L’une des principales préoccupations de la loi a été l’absence de consensus sur la manière de définir la souffrance psychologique, ce qui a donné lieu à une interprétation large du terme. La législation manque également de dispositions ou de mécanismes permettant de vérifier que la demande du patient était véritablement volontaire et mûrement réfléchie, plutôt que le résultat d’une coercition familiale ou environnementale (Cohen-Almagor, 2009). En outre, de nombreuses préoccupations ont été soulevées concernant le fonctionnement de la Commission, notamment le large pouvoir discrétionnaire accordé à ses membres, le manque d’indépendance, de transparence et sa tendance à ignorer les garanties juridiques. (Sortie, 2021).

Évaluation de la nécessité de mesures de protection renforcées

Il y a plus de vingt ans, l’arrêt fondateur de la Cour EDH dans l’affaire Joli a jugé que même s’il n’est pas possible de déduire un droit à mourir de l’article 2 de la Convention, le droit à la vie consacré par cette disposition ne peut être interprété comme interdisant en soi la dépénalisation conditionnelle de l’euthanasie. Dans Mortierla Cour EDH a conclu qu’autoriser l’euthanasie en général, même dans des situations où les individus ne sont pas sur le point de mourir ou souffrent de maladie mentale, ne constituerait pas une violation en soi de l’article 2 de la CEDH. Mortierreprésente donc une étape importante et un pas positif vers la reconnaissance du droit à des systèmes réglementés d’aide à mourir au sein du Conseil de l’Europe (CdE).

Cependant, la Cour EDH dans Mortier n’a pas examiné pleinement le manque de garanties procédurales et de sauvegardes dans le cadre juridique belge en matière d’euthanasie. L’obligation de la Cour de réexaminer ces garanties et sauvegardes était d’autant plus cruciale et urgente qu’elle concernait le droit à la vie d’un individu issu d’une population vulnérable souffrant d’une maladie psychologique. La Cour a jugé à plusieurs reprises, dans des affaires telles que Joli et Haas, que les États ont l’obligation de protéger les personnes vulnérables, ce qui oblige les États membres à mettre en place amélioré mesures de protection dans le cadre du cadre juridique visant à minimiser le risque potentiel d’abus dans les situations de décisions de fin de vie. Étant donné que mettre fin à la vie d’une personne est un acte de grande portée et irréversible, la Cour aurait dû recourir contrôle strict en délibérant sur la compatibilité avec la Convention de la procédure suivie pour procéder à l’euthanasie de la mère du requérant.

Malgré l’accent mis sur les « garanties » dans le Mortier Malheureusement, l’arrêt de la Cour n’a pas reconnu qu’il y avait eu une violation substantielle de l’article 2, car elle n’a pas procédé à une évaluation complète de l’absence de garanties dans le cadre juridique belge. Ceci malgré la présence de graves irrégularités dans la manière dont l’euthanasie a été administrée dans la présente affaire. L’omission de la Cour semble encore plus prononcée compte tenu des préoccupations importantes exprimées par de nombreuses parties prenantes concernant l’insuffisance des garanties prévues par la loi belge pour protéger les populations vulnérables contre les abus (Raus, 2021). Dès 2014, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU avait exprimé ses inquiétudes concernant l’utilisation abusive de la loi sur l’euthanasie en Belgique.»tuer les personnes ayant une déficience intellectuelle» et souligne la nécessité de garanties juridiques solides. Par conséquent, la Cour a raté une occasion cruciale de fournir des orientations claires concernant les normes que les garanties nécessaires doivent respecter pour garantir que les futurs cas d’euthanasie, y compris ceux impliquant des troubles psychologiques, soient évalués de manière approfondie et menés non seulement en Belgique mais dans tous les États membres. du COE.

Par ailleurs, même si la Cour constate une violation procédurale de l’article 2 postérieur En contrôlant que la Commission créée par la loi sur l’euthanasie manque d’indépendance, dans son arrêt, la Cour a omis non seulement d’analyser en profondeur la gravité de cette violation, mais également les préoccupations frontalières liées au fonctionnement de la Commission qui a été discuté ci-dessus. L’inclusion des médecins ayant pratiqué l’euthanasie dans la Commission chargée d’évaluer la conformité de leurs actes avec la loi soulève de sérieuses inquiétudes quant au potentiel parti pris de la Commission, qui aurait pu conduire à une sous-déclaration des cas de mauvaise conduite des médecins, entravant finalement la responsabilisation pour d’éventuels incidents d’abus. . Même si les médecins restaient silencieux lorsqu’il s’agissait de leur propre respect de la loi, un spectateur objectif aurait de sérieuses inquiétudes quant à l’indépendance de la Commission qui fonctionne depuis 2002.

Marge d’appréciation

La notion de marge d’appréciation est à double tranchant. Même si le raisonnement de la Cour EDH est que les autorités nationales sont mieux placées parce qu’elles sont plus proches de la réalité de leur État, cela peut aboutir à des situations comme dans Joli, où une femme qui souffrait de graves douleurs physiques s’est vu refuser la possibilité de mourir dans la dignité alors qu’elle n’avait aucune perspective de guérison ; et, d’autre part, des situations comme dans Mortieroù la flexibilité accordée aux autorités belges conduisant à un manque de garanties suffisantes, était compatible avec la CEDH.

La particularité dans Mortier n’est pas l’attribution de la marge d’appréciation aux autorités nationales en soi. Ce qui est surprenant, c’est que la Cour l’applique en vertu de l’article 2 de la CEDH. Après tout, les droits des mères au titre de l’article 8 n’ont pas été invoqués parce que l’euthanasie avait déjà été pratiquée. L’article 2 de la CEDH a été qualifié d’une des dispositions les plus fondamentales de la Convention, la Cour EDH ayant même utilisé le terme « caractère sacré de la vie ». En conséquence, dans les situations où le droit à la vie est en jeu, la Cour a appliqué un examen strict des faits. Cette approche contraste avec la large marge d’appréciation que la Cour EDH a accordée à la Belgique dans l’affaire Mortier cas. Cette conclusion est liée au fait que les cas d’aide médicale à mourir (euthanasie, arrêt d’un traitement de survie, etc.) ont des connotations morales et qu’il n’existe pas de consensus entre les États membres du Conseil de l’Europe. Cependant, lorsque l’article 2 est impliqué et que le droit à la vie est en jeu, la Cour doit exercer un contrôle strict sur les garanties juridiques visant à protéger les personnes vulnérables qui souhaitent se faire euthanasier. Ne pas le faire rendrait, comme cela s’est produit dans Mortierles garanties sont inefficaces en raison de la déférence finale envers les autorités nationales.

Conclusion

La CEDH, en tant qu’« instrument vivant », doit être interprétée selon les conditions actuelles. En conséquence, la Cour devra s’adapter à l’acceptation de plus en plus grande de l’euthanasie dans les ordres juridiques nationaux du Conseil de l’Europe. Dans cette analyse de cas, nous avons approfondi la complexité de la position de la Cour sur la nécessité de garanties renforcées dans les affaires d’euthanasie, en particulier lorsque le concept de marge d’appréciation entre en jeu. La décision de la Cour dans Mortier, où elle n’a pas constaté de violation substantielle de l’article 2 et a plutôt retenu une large marge d’appréciation, soulève de nombreuses questions. Ceci est particulièrement préoccupant dans le contexte d’un pays comme la Belgique, avec un système d’euthanasie libéralisé et des conflits inhérents en son sein. Il reste à voir dans les cas futurs, comme celui de l’application en cours de Karzai c. Hongriesi ces tensions seront résolues ou si les États continueront à jouir d’une grande déférence dans l’établissement de lois à cet égard avec les aspects positifs et négatifs que cela implique.