Edito tout frais : des César au tribunal, comme dans un mauvais film

Un fois de plus, ce blog va porter à votre connaissance un papier qui se propage sur internet. Le thème est «la justice».

Le titre (des César au tribunal, comme dans un mauvais film) est évocateur.

Le chroniqueur (identifié sous la signature d’anonymat
) est connu et fiable.

Ce papier peut ainsi être pris au sérieux.

La date de publication est 2023-12-28 08:40:00.

Voilà ll’article :

Ce 21 août 2019, Dylan Robert, 19 ans, était encore un jeune comme tant d’autres, ou presque. Heureux de participer à une sortie en mer. « C’était avec la brigade littorale de la police, se souvient Mohamed Benmeddour, éducateur et médiateur marseillais. Dylan, je l’ai toujours connu, sympa, intrépide. Mais je savais qu’il faisait des vols à l’arraché. »

Ce jour-là, Mohamed semble rigoler en désignant les policiers qui pilotent l’embarcation. « Tu vois, là-bas ? C’est la prison des Baumettes. Si je dis deux mots aux flics, on traverse direct. » Dylan ricane. Alors Mohamed insiste : « Écarte-toi de ce monde-là. Le cinéma, c’est ta chance. »

Le cinéma, un énorme espoir après l’établissement pénitentiaire pour mineurs

Six mois plus tôt, smoking noir, cheveux tirés en queue-de-cheval, Dylan Robert recevait le César du meilleur espoir masculin. « Ce César, pour moi, signifie bienvenue dans le monde professionnel du cinéma », déclare-t-il, ému, la récompense en main. Et les projets s’enchaînent : ce même été 2019, il tourne pour la série « Vampires » sur ­Netflix. Puis rencontre Maïwenn pour « ADN ».

À 18 ans, Dylan Robert avec Kenza Fortas, qui incarne Shéhérazade,le rôle-titre (ci-dessus), à la 11e édition du Festival du film francophone d’Angoulême, en août 2018.

À 18 ans, Dylan Robert avec Kenza Fortas, qui incarne Shéhérazade,le rôle-titre (ci-dessus), à la 11e édition du Festival du film francophone d’Angoulême, en août 2018.

Paris Match
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© Alexandre ISARD

Il fait la fierté de sa mère. D’origine tunisienne, elle élève seule ses quatre enfants. Sur les réseaux sociaux, elle publie des photos avec son fils sur le tapis rouge, à Cannes. Elle dit de Dylan qu’il est son « plus beau cadeau de la vie ». Dylan lui a offert une petite maison dans le Vaucluse.

Mais l’inquiétude de l’éducateur n’est pas feinte. Car Dylan n’a pas seulement un palmarès cinématographique. Pour l’essentiel, des vols à l’arrachée ciblant les touristes sur le parvis de la gare Saint-Charles à ­Marseille. En 2016, à 16 ans et demi, il a été condamné à quatre mois et demi de détention pour extorsion. Avec ses « copains », ceux du parc Corot, un quartier particulièrement tendu où il traîne chaque jour, ils ont forcé un homme à retirer de l’argent à un distributeur. Ce sera l’EPM, l’établissement pénitentiaire pour mineurs.

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Repéré pour sa gouaille de petite frappe

Paradoxe, c’est grâce au « vice » – comme il dit – qu’il est repéré. Une éducatrice l’a prédit quand, attendrie par sa tchatche fleurie, elle lui lance : « Tu devrais faire du cinéma ! »

Justement. Le réalisateur marseillais Jean-Bernard Marlin cherche des jeunes pour « Shéhérazade », un film sur les quartiers nord. Dylan éblouit l’équipe du casting. Il incarnera Zachary, le personnage principal. Séances d’orthophonie, cours express de comédie… le voilà face aux caméras.

La scène de fusillade qui figure sur l’affiche du film « Shéhérazade ».

La scène de fusillade qui figure sur l’affiche du film « Shéhérazade ».

© DR

Le film, qui a fait sensation à Cannes, sort en septembre 2018. « Je n’ai pas senti qu’il jouait, c’était naturel », se souvient ­Mohamed ­Benmeddour.

Côté vie privée, c’est plutôt vie cachée, car Dylan ne s’est pas vraiment rangé… La police le soupçonne de ne jamais être loin des mauvais coups. Elle garde un œil… et même une oreille : il est sur écoute depuis le 25 octobre 2018 et le braquage d’un restaurateur du quartier la Valentine, dans l’est de Marseille. On le suspecte aussi du vol d’un scooter le 28 décembre 2018.

Dylan (capuche rouge), en 2019, peu avant son César. Il poste cette image sur Facebook et écrit : « Quand tu reviens au quartier avec le livre des révélations. » Il ajoute les hashtags : « N’oublie jamais d’où tu viens » et « Marseille ».

Dylan (capuche rouge), en 2019, peu avant son César. Il poste cette image sur Facebook et écrit : « Quand tu reviens au quartier avec le livre des révélations. » Il ajoute les hashtags : « N’oublie jamais d’où tu viens » et « Marseille ».

© DR

Arrêté à la gare et mis en examen

Le 23 janvier 2020, le jeune acteur s’apprête à prendre le TGV en gare Saint-Charles pour assister à la soirée du Sidaction à Paris quand il est interpellé, mis en examen, placé en détention provisoire. Sa remise en liberté sous contrôle judiciaire intervient le 13 février 2021.

« À cette époque, c’était la guerre entre deux quartiers, les Oliviers et les Lauriers, pour récupérer le point de deal des ­Marronniers, explique Mohamed Benmeddour. Dans cette cité (six immeubles aux façades noircies du XIVe arrondissement de Marseille) vit une famille éparpillée dans plusieurs appartements : une mère, ses deux filles et leurs deux enfants respectifs. Parmi eux, Rayanne, 14 ans, métis antillais et cap-verdien, gueule d’ange facile à repérer : tempes rasées, crête sur le dessus de la tête, tantôt blond platine, tantôt rose fuchsia ou bleu azur. « C’était un petit très espiègle, toujours à faire des conneries avec mon fils, raconte Laetitia, sa tante. Il jouait à la ­PlayStation jusqu’à 2 heures du matin alors qu’il y avait école le lendemain. »

La vie de Rayanne

Rayanne à 10 ans. Il sera tué quatre ans plus tard.

Rayanne à 10 ans. Il sera tué quatre ans plus tard.

© DR

Laetitia sourit, mais les yeux baissés sur une tombe. Sur la stèle, le numéro 46 est gravé en référence au pilote de moto GP italien Valentino Rossi, l’idole de Rayanne. Elle se reprend. « Rayanne était hyperactif. En 2021, le collège a aménagé son emploi du temps pour l’aider et, au dernier trimestre, il a eu d’excellentes notes. Il allait pouvoir entrer en troisième pro à la Valentine. » Son projet ? Ambulancier, peut-être. « Il aimait beaucoup les personnes âgées de son immeuble. » Mais sa passion, c’était la moto. « Un jour, un éducateur l’a amené faire du cross. Il n’en revenait pas. Rayanne connaissait tout des motos. » Alors, s’il rêvait, c’était de devenir mécanicien pour avoir un jour sa BMW.

La cité des Marronniers est nécrosée par le trafic de drogue, mais Rayanne fait exception. Les dealers n’ont pas réussi à le recruter comme « chouf », ces guetteurs mineurs chargés d’annoncer l’arrivée des flics. Un jour, il lui est pourtant reproché un vol à l’arraché. « J’ai fait le tour du quartier, menacé, insulté, jusqu’à ce qu’on me dise qui avait fait ça. Je ne voulais pas qu’il reste une seconde de plus en garde à vue », raconte Laetitia. Elle finit par trouver le responsable, qu’elle traîne au commissariat. Rayanne est blanchi.

Au programme de l’été 2021, télé, ­Play­Station et baignade jusqu’à « ce maudit 18 août » que nous raconte un des copains de Rayanne, casquette noire enfoncée sur le crâne. Près d’un chouf qui nous regarde l’œil mauvais, l’adolescent s’emporte.

« Nous sommes rentrés de la plage vers 16 heures… Puis ces fils de pute sont entrés dans le quartier. Ils n’ont pas cherché à comprendre. Les premiers jeunes qu’ils ont vus, ils ont tiré. » Et il pointe du doigt l’entrée du quartier, un tunnel sous la voie ferrée.

Tué pour un trafic qu’il ne faisait pas

La traversée des Marronniers forme un entonnoir à la droite duquel s’élève une résidence récente. C’est là, à 21 heures, devant la descente du garage, que ça s’est passé : un scooter pile, le passager arrière sort un AK-47, une arme lourde. Il tire. Sont blessés Rayanne et l’adolescent de son âge, 14 ans, avec lequel il discutait ainsi qu’un enfant de 8 ans. Les staccatos d’arme automatique font fuir les guetteurs positionnés quelque 300 mètres plus loin, derrière le pont, en haut des rampes d’accès aux immeubles.

« Je jouais à la PlayStation, raconte le copain de Rayanne. J’ai entendu “pan, pan, pan”. Et puis la grand-mère et les cousins de Rayanne qui hurlaient : “Non, non, non !” » Cinq balles de “kalach” dans le torse. Les secours arrivés en urgence tentent de réanimer le garçon. Laetitia, partie la veille en vacances à Bayonne, est prévenue. C’est elle qui va annoncer la terrible nouvelle à sa sœur, femme de ménage à l’hôpital. « Elle travaillait de nuit ce jour-là. J’ai juste réussi à lui dire : “Quelqu’un a tiré sur le petit. Je crois que c’est grave.” »

Quelques heures plus tard, Rayanne décède. Laetitia entend encore le cri qui résonne au téléphone. Faute de concession au cimetière Saint-Pierre, il leur faudra attendre dix jours pour pouvoir enterrer l’enfant et, entre-temps, subir les perquisitions de la police. « Ils ont dit que, si le petit s’était fait tirer dessus, ce n’était peut-être pas pour rien. »

Un combat symbolique pour les victimes collatérales de la drogue

Une déclaration du président de la République qui semble impliquer Rayanne met Laetitia hors d’elle. Pendant des mois, elle harcèle ­l’Élysée jusqu’à obtenir des excuses. La mort de ce neveu devient le combat d’une vie. Elle rejoint le Collectif des familles de Marseille. Des mères, sœurs, parents qui ont perdu un enfant dans la guerre des trafics de drogue. « Je veux que ses assassins soient arrêtés. Je ne peux pas imaginer qu’ils vivent leur petite vie tranquille alors que nous, on est dans la ­souffrance. »

Mi-novembre, Laetitia apprend la mise en examen de deux personnes. « Sur le moment, j’en ai pleuré de joie. J’ai appelé toute la famille, l’avocat. Et puis, j’ai compris que rien n’était joué. On n’est pas encore aux assises. Je ne crie pas victoire. »

Avoir toutes les cartes en main… et faire ça ?

Mais le nom du conducteur présumé du scooter la ­saisit : « Dylan Robert… en plus, il traînait aux Marronniers. Il ­connaissait Rayanne. » Laetitia ravale ses larmes. « Si c’est lui… comment tu peux avoir toutes les cartes en main… une chance incroyable… et deux ans après, tu fais ça ? Je ne comprends pas. »

 Ils entrent tôt dedans et ils ne savent faire que ça. Peut-être qu’il y a aussi une histoire d’adrénaline. 

Mohamed Benmeddour, éducateur

Dylan Robert a déjà été condamné à trente mois de prison pour des vols avec violence fin janvier 2022 et a été mis en examen pour assassinat. Il nie les faits. Laetitia ne se ­l’explique pas. Personne ne comprend. Même pas Mohamed, l’éducateur.

« Je me dis qu’il voulait la réussite dans le cinéma, mais aussi dans la délinquance. Ils entrent tôt dedans et ils ne savent faire que ça. Peut-être qu’il y a aussi une histoire d’adrénaline. »

Nous sommes aux Marronniers. L’éducateur jette un regard aux alentours. Les choufs, les vendeurs, les tours, les fenêtres. Une voiture qui vient de passer ? On décampe. À l’abri, il poursuit. « Une fois que tu es rattaché à une bande, à un quartier, tu es identifié. En face, ils font plus la distinction. Tu es pris pour cible. Alors, tu entres en guerre. » La guerre qui se fiche pas mal des innocents.

Ryanne.

Ryanne.

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Dylan Robert : des César au tribunal, comme dans un mauvais film


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Séance photo avec les  acteurs  Kenza FORTAS et Dylan ROBERT (un verre à la main)  à la 11è édition du Festival du film francophone d'Angoulême. Ils sont venus  présenter en compétition le  film

Séance photo avec les acteurs Kenza FORTAS et Dylan ROBERT (un verre à la main) à la 11è édition du Festival du film francophone d’Angoulême. Ils sont venus présenter en compétition le film « Shéhérazade ». Ils posent sur la terrasse de l’hôtel Mercure, le 23 août 2018.

© REDACTION

Dylan Robert : des César au tribunal, comme dans un mauvais film


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Info - Dylan Robert, acteur césarisé en 2019, mis en examen pour assassinat - Dylan Robert - Montée des marches du film

Info – Dylan Robert, acteur césarisé en 2019, mis en examen pour assassinat – Dylan Robert – Montée des marches du film « Rocketman » lors du 72ème Festival International du Film de Cannes. Le 16 mai 2019 © Jacovides-Moreau / Bestimage Red carpet for the movie « Rocketman » during the 72th Cannes International Film festival. On may 16th 2019

© JACOVIDES-MOREAU / BESTIMAGE

A Marseille Nord, dans la cité des Marronniers, les guetteurs à l’entrée du point de deal.

A Marseille Nord, dans la cité des Marronniers, les guetteurs à l’entrée du point de deal.

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A Marseille Nord, dans la cité des Marronniers, les tarifs, au point de deal.

A Marseille Nord, dans la cité des Marronniers, les tarifs, au point de deal.

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Dylan (lunettes) et Mohammed (source, confidentiel)

Dylan (lunettes) et Mohammed (source, confidentiel)

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Laetitia, la tante de Rayanne, sur la tombe de son neveu.

Laetitia, la tante de Rayanne, sur la tombe de son neveu.

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Dylan, lunettes claires.

Dylan, lunettes claires.

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Publications:

De la justice dans la Révolution et dans l’Église/Troisième Étude,Ouvrage .

La Justice en Question? Experience d’une Mediatrice,Ouvrage . A emprunter en bibliothèque.

Paroles d’enfants paroles de juges,(la couverture) .