Changement climatique ou changement climatique ?

Le 6 février 2024, le Chartered Institute of Arbitrators (CiArb) Branche européenne/Chapitre français a organisé un séminaire au Bureau parisien de Bird & Bird modéré par Jalal El Ahdab (Oiseau&Oiseau) et Alexandre Malan (Belot Malan & Associés) sur un sujet crucial : les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (« ESG ») et leur impact sur l’arbitrage international. La table ronde a présenté Pascale Accaoui Lorfing (ESCP Business School/CREDIMI), Ioulia Levashova (Université Nyenrode), Kirsten Odynski (White & Case LLP), Patrick Thieffry (arbitre indépendant).

Cet article de blog résume les principaux arguments discutés par les intervenants.

Arbitrer les différends liés au changement climatique

Kirsten Odynski a analysé le paysage actuel des différends liés au changement climatique, leur relation avec l’arbitrage et les perspectives d’avenir.

De manière générale, les litiges liés au changement climatique sont un terme large couvrant une gamme de litiges découlant de questions juridiques ou factuelles liées au changement climatique (des exemples de litiges liés au changement climatique peuvent être trouvés ici).

En se concentrant sur l’arbitrage, Odynski a évoqué le Rapport 2019 du groupe de travail de la CCI sur les différends liés à l’arbitrage liés au climat. Elle a noté la pertinence durable de la définition du rapport (para. 2.1-2.3), même si d’autres et nouvelles nuances doivent être prises en compte, notamment en ce qui concerne la deux premières catégories répertoriées de différends liés au changement climatique (paragraphe 2.3). Le changement climatique, les réglementations environnementales et la législation ont eu un impact sur les utilisateurs de l’arbitrage, en particulier dans les secteurs de la construction et de l’énergie. Par exemple, si un litige concernant des retards de livraison sur un chantier de construction causé par le sécheresse affectant les opérations du canal de Panama être considéré comme un différend sur le changement climatique ?

L’arbitrage présente plusieurs caractéristiques adaptées à la résolution des différends liés au changement climatique : un forum neutre, des arbitres dotés d’une expertise spécialisée, une flexibilité procédurale, la confidentialité (bien qu’en tension avec la transparence) et une facilité d’application.

Concernant les perspectives futures, Odynski prévoit une augmentation de l’arbitrage sur le changement climatique et l’impact du changement climatique sur les utilisateurs de l’arbitrage, en distinguant :

  • L’arbitrage en matière d’investissement, comme en témoignent les implications potentielles du changement climatique et d’autres réglementations environnementales sur les obligations des États au titre des traités d’investissement existants (par exemple, RWE c. Pays-Bas), et le nombre croissant d’obligations environnementales dans les traités d’investissement comme base des demandes reconventionnelles des États (par exemple, Modèle néerlandais BIT 2019; Burlington c.Équateur à titre d’exemple).
  • Arbitrage commercial, les contrats contenant généralement des clauses d’arbitrage intègrent de plus en plus de dispositions liées à l’ESG (par exemple, sstandard formes de construction, accords de chaîne d’approvisionnement, facilités de crédit), augmentant la probabilité de différends contractuels liés au changement climatique. Odynski a suggéré aux institutions d’arbitrage commercial de classer les différends liés au changement climatique dans leurs statistiques afin de mieux comprendre leur nature et leur fréquence.
  • Il est peu probable que l’augmentation des plaintes pour greenwashing ait un impact significatif sur l’arbitrage international. Étant donné que ces types de réclamations sont généralement fondées sur les lois nationales en matière de protection des consommateurs, elles seront principalement traitées par les tribunaux et organismes nationaux. Toutefois, cela pourrait changer avec le renforcement de la réglementation.

Impact de la législation de l’UE sur le devoir de diligence sur l’arbitrage international

Ioulia Levashova a souligné les impacts potentiels de la Directive de l’UE sur le devoir de diligence en matière de développement durable pour les entreprises (CS3D) sur les investisseurs étrangers, les questions commerciales et les arbitrages. La version finale de compromis de la directive a été adoptée le 15 mars 2024, après des retards dus à des désaccords entre les États membres sur son champ d’application, entraînant une réduction substantielle de l’applicabilité du CS3D.

Levashova a souligné quatre profils d’impact de CS3D :

  • CS3D a un champ d’application extraterritorial car il s’appliquera directement aux très grandes entreprises non européennes investissant sur le marché européen. La Commission européenne publiera prochainement une liste des entreprises non européennes entrant dans le champ d’application du CS3D. De plus, le CS3D aura un impact indirect sur les PME intégrées dans les chaînes de valeur, car celles soumises au CS3D doivent assurer la conformité tout au long de leur chaîne de valeur. Les entreprises doivent obtenir des assurances contractuelles de la part de leurs partenaires commerciaux directs (et, dans certains cas, indirects) afin de se conformer à l’obligation concernant la prévention et l’atténuation des impacts négatifs sur les droits de l’homme ou l’environnement. (7(2)(b), 7(4), 8(3)(c), 8(5)).
  • Les entreprises de l’UE soumises à la CS3D qui investissent dans des pays tiers doivent continuellement intégrer le devoir de diligence (« DD ») dans leurs politiques.
  • La directive (incorporée dans le droit national) pourrait être invoquée dans les procédures de RDIE. La plupart des traités d’investissement exigent que les investissements soient conformes au droit interne de l’État hôte pour être considérés comme licites. Le non-respect par un investisseur du CS3D peut potentiellement constituer un motif pour qu’un tribunal arbitral décline sa compétence (par exemple, Cortec Mining c. Kenya, para. 319). Une tendance croissante dans le RDIE implique DD comme facteur important pour déterminer si les attentes légitimes d’un investisseur méritent d’être protégées en vertu de la norme de traitement juste et équitable (TJE) (par exemple, Gaspar c. Costa Rica, par. 379). Les investisseurs doivent démontrer des efforts de DD adéquats pour prouver le caractère imprévisible des mesures réglementaires contestées (par exemple, Isolux c. Espagne). Néanmoins, ce dernier test reste ambigu. À cet égard, le respect de la CS3D peut servir d’indicateur pour savoir si les mesures HRDD étaient prévisibles pour les investisseurs.
  • CS3D affectera certainement l’arbitrage commercial. La directive repose largement sur la capacité des entreprises à contrôler les activités de la chaîne d’approvisionnement par le biais de contrats commerciaux. L’inclusion de clauses DD dans des contrats contenant une convention d’arbitrage peut donner lieu à des litiges sur l’interprétation et l’application de ces clauses. Les problèmes d’interprétation pourraient découler de clauses DD formulées de manière large, des tiers et de leurs actions en dehors de la relation contractuelle directe de l’entreprise, ainsi que de l’évaluation des dommages.

Informatique G & Force majeure

Pascale Accaoui Lorfing la relation entre l’ESG et les questions abordées force majeure (FM), qui conseille sur la rédaction de clauses combinant ESG et FM.

Premièrement, la distinction entre FM en tant que concept de droit civil et d’autres concepts, tels que épreuves, frustration du but, impossibilité physiqueetc. impraticabilité commerciale est fondamental.

Elle a ensuite souligné trois relations potentielles entre les enjeux ESG et les clauses FM :

  • Clauses FM avec définitions générales suivies d’une liste d’événements FM, y compris les questions liées à l’ESG.
  • Clauses FM avec une liste limitée d’événements FM mais précisant que d’autres événements pourraient être inclus.
  • Clauses FM excluant les questions liées au climat.

À la lumière de ces considérations, elle a conseillé sur la rédaction de futures clauses combinant ESG et FM. Lors de la rédaction des clauses FM liées aux enjeux ESG, les parties doivent savoir si elles souhaitent avoir des critères définis, seuls ou en complément d’une liste d’événements, et si ces événements répertoriés, une fois survenus, sont présumés être des événements FM ou s’ils doit être prouvé (par exemplele Clause type de force majeure de la CPI 2020). Concernant les obligations des parties, une attention particulière devra être portée à la notification et au sort du contrat en fonction de la gravité de l’impossibilité d’exécution (temporaire, partielle ou définitive).

Défis procéduraux pour les avocats et les arbitres confrontés aux clauses ESG et aux arbitrages verts

Patrick Thieffry a fourni un point de vue privilégié sur les principaux défis auxquels sont confrontés les conseils et arbitres face aux clauses ESG et à l’arbitrage vert.

Depuis le Rapport 2019 du groupe de travail de la CCI sur l’arbitrage des différends liés au changement climatiquede nouveaux types de situations juridiques et un nombre croissant de litiges commerciaux traditionnels sont désormais susceptibles de comporter des aspects ESG.

Le plus grand défi potentiel pour les arbitres est de qualifier les règles de fond liées à l’ESG de politique publique internationale. Considérer les règles ESG comme des règles impératives impératives (lois de police) ou en tant que « valeurs » fondamentales pourrait conduire à l’application d’une loi différente de celle qui serait autrement applicable ou au rejet d’une loi étrangère qui aurait autrement été appliquée, ou d’une sentence qui aurait appliqué une telle loi. La volonté du législateur quant au caractère obligatoire de telles règles peut être déterminante. Semblable aux affaires de corruption ou de blanchiment d’argent. Les arbitres dans de tels différends seraient confrontés à des dilemmes quant aux mesures à prendre.

L’arbitrage offre un « forum non étatique » alternatif pour les entreprises qui envisagent d’étendre leurs offres d’arbitrage à des parties potentiellement affectées par des réclamations liées à l’ESG, plutôt que d’être confrontées à de lourds litiges multi-juridictionnels, mais également de maintenir un niveau suffisant d’acceptabilité sociale perçue.

Réformes en cours (Règlement CIRDI révisé, Groupe de travail III de la CNUDCI), offrent des perspectives d’avenir : mécanismes permettant de régler rapidement les réclamations manifestement infondées ou d’obliger les demandeurs à payer les frais de justice ; des mesures visant à améliorer la transparence grâce à la divulgation d’informations à des tiers et à permettre une participation accrue, par exemple en incorporant amicus curiae dans les règles d’arbitrage, permettant l’implication formelle des personnes concernées en tant que parties, permettant des arbitrages de masse comme dans Abaclat c. Argentineou selon le Accord au Bangladesh après la catastrophe du Rana Plaza.

Enfin, Thieffry a été invité à faire la lumière sur la notion d’« arbitre respectueux de l’environnement », en soulignant l’importance du respect des devoirs arbitraux et de l’efficacité des procédures. Les arbitres ne devraient pas trancher le différend sur la base de ce qui est le mieux pour l’environnement, car cela serait incompatible avec leurs devoirs judiciaires. Arbitres experts en droit de l’environnement Il se peut qu’ils n’exercent pas l’influence aussi importante qu’on pourrait s’attendre sur le tribunal et qu’ils puissent même faire naître des soupçons de partialité, selon les circonstances. Enfin, les arbitres visant à limiter l’empreinte environnementale de la procédure arbitrale (par exemple., Engagement vert), ne devrait pas compromettre l’équité et l’égalité de la procédure. Compte tenu de l’impact négatif de l’utilisation intensive des technologies de l’information, le problème de la détermination de l’empreinte de la procédure demeure.

Conclusion

Le séminaire a souligné l’impact du changement climatique et des questions ESG sur les affaires, les contrats commerciaux et les investissements, avec des implications pour l’arbitrage international. Le nombre et les types d’arbitrages vont augmenter, abordant des problèmes tels que les attentes légitimes et l’interprétation des clauses ESG. Les arbitres seraient confrontés à de nouvelles difficultés et devoirs.

La question demeure : le changement climatique ne fera-t-il que créer de nouveaux problèmes au sein de l’arbitrage, ou va-t-il changer le climat de l’arbitrage ?